ServerGroup by Thierry Ehrmann
L'industrie du troisième millénaire

  in Le Monde, 19 avril 2001, HORIZONS Portrait, première de couverture.

 

« L’internet est le fils naturel de Proudhon et de Bakounine. Il est anarchiste au sens sociologique puisqu’il fait émerger un cybercitoyen » Thierry Ehrmann 
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Malgré tout, il commence à être invité dans les clubs et les cercles d'affaires, où il promène son look singulier : polo et jean noirs, banane à la ceinture, Rolex en or au poignet et, sur la nuque, une fine natte confucéenne. " Sa réussite commence à être reconnue, car elle s'inscrit dans la durée ", explique Paul Billon, un patron lyonnais qui est son associé depuis quatre ans. Cette popularité naissante fait sourire Thierry Ehrmann : " c'est le syndrome Arafat. Quand l'ancien terroriste accède au pouvoir, il faut bien parler avec lui. " L'establishment lyonnais s'est longtemps méfié de cette personnalité sulfureuse, dont l'itinéraire échappe à toute logique. D'autant plus qu'il entretient à plaisir un halo de mystère : l'homme ne fréquente pas la jet-set - « je suis timide » - et sort peu du domaine des Sources, un ancien relais de poste du XVIIIè siècle (3 hectares, 7 000 mètres carrés habitables) où sont installés le siège de son entreprise et son domicile. Il travaille souvent tard la nuit dans son bureau aux murs anthracite, aux poutres sombres, encombré de meubles haute époque qu'il collectionne depuis quinze ans.
Il combat mollement les nombreuses rumeurs qui courent sur son compte, notamment d'avoir des accointances avec les services secrets. Mais il confirme sans détours ce que d'autres tairaient volontiers, comme son appartenance à la franc-maçonnerie ou son mode de vie " en marge, tribal " : " je vis avec plusieurs femmes sous le même toit, mes deux fils ont plusieurs mamans, explique-t-il tranquillement. Je l'assume, ayant toujours été un défenseur de l'épicurisme dans l'échangisme. " Lyon se souvient des années 1980, quand la tribu Ehrmann avait élu domicile dans une immense propriété de Charbonnières, éloquemment baptisée " l'Abbaye de Thélème ". On y donnait sans discrétion des fêtes plutôt libérées. Dans le parc, le jeune homme élevait des kangourous, qu'il promenait dans sa Rolls. Il avait déjà ses aises, grâce à la revente de deux entreprises créées par lui : une société d'images de synthèse et une messagerie téléphonique, La Voix du parano. Puis grâce à son association avec le groupe Jet lag, une prospère messagerie rose, dont il détiendra 10 % jusqu'en 1996.
Il prenait plaisir à " choquer les bien-pensants ", cette bourgeoisie lyonnaise du boulevard des Belges où il est né en 1962. Fils unique, il reste marqué par une éducation rigide et des rapports difficiles avec son père. Ce dernier, polytechnicien et docteur en droit, avait servi l'Etat avant de devenir un industriel de la chimie, propriétaire d'une usine en Allemagne. " C'était un humaniste chrétien très lié à l'Opus Dei ", précise son fils. Il se souvient que, lorsque certains hommes d'affaires venaient à la maison, la conversation se faisait en latin. Le petit Thierry avait un précepteur dominicain, et interdiction de fréquenter d'autres enfants. Lorsqu'il fallut sortir de cette enfance recluse pour le collège et le lycée, il écumera dix-sept établissements scolaires, tant privés que publics, avant de faire son baluchon pour dix-huit mois de petits boulots à travers le monde. « Je crois que je dégageais une aura qui perturbait toute l'école », avance-t-il.

Jean-Jacques Bozonnet
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