Le provocateur
du Net
Marx, Lénine, Mao. On ne sattend pas à les croiser
dans lantichambre de la nouvelle économie. Pourtant, leurs
portraits sont là, dans le hall dArtprice.com, une start-up
française cotée en Bourse depuis un an. Etrange comité
daccueil dans la révolution de lInternet ! Mais aux
yeux de Thierry Ehrmann, le patron de Groupe Serveur, propriétaire
à 60 % dArtprice.com, ces trois-là font référence.
Bien plus que Bill Gates ou Steve Jobs. Sil fallait un Américain,
ce serait Malcolm X, immortalisé sous verre lui aussi.
Sur les murs de cette entreprise installée à Saint-Romain-au-Mont-dOr,
dans la banlieue lyonnaise, le message est clair : il ne faut pas se tromper
de révolution. Celle de lInternet nest ni économique
ni technologique, mais « philosophique », affirme Thierry
Ehrmann. Inconnu du grand public, ce Lyonnais de trente-huit ans est devenu
un acteur indiscutable de la nouvelle économie, tout en affichant
un discours provocateur à hérisser le poil de plus dun
incubateur en baskets. « LInternet est le fils naturel
de Proudhon et de Bakounine, aime-t-il répéter. Il est anarchiste
au sens sociologique puisquil fait émerger un cybercitoyen
capable de répondre à larrogance des multinationales.
Et il est marxiste du point de vue économique, cest pourquoi
beaucoup de grands groupes ne le comprennent pas. »
A-t-il servi ce discours à Bernard Arnault quand il la sollicité
pour prendre 17 % dArtprice.com, juste avant de lintroduire
au Nouveau Marché, en janvier 2000 ? Quoi quil en soit, le
patron de LVMH ne sest pas enfui en courant. « Il a craché
50 millions de francs pour un simple strapontin au tour de table »,
commente un analyste admiratif du talent de persuasion de Thierry Ehrmann.
Celui-ci ne manque pas darguments ni daplomb. Il sest
enrichi grâce à la nouvelle économie, mais on est
prié de ne pas le confondre avec un simple créateur de start-up
: « cela me met hors de moi, dit-il. La nouvelle économie
a vingt ans. » Sous-entendu : « Et je fais partie des pionniers
».
Bluff ou vraie réussite ? En tout cas, le Groupe Serveur, quil a fondé en 1987,
commence à peser lourd : treize filiales, dont deux cotées, et une dizaine de participations
minoritaires. Il emploie près de 350 personnes de par le monde (plus de 400 fin 2001) pour un
chiffre daffaires affiché de 480 millions de francs. Thierry
Ehrmann est propriétaire à 95 % de ce groupe, qui a prospéré en
toute discrétion, mais surtout en pleine indépendance. Aucune banque ne figure au tour
de table de Groupe Serveur, qui senorgueillit de 598 millions de francs de fonds propres.
La crise des valeurs Internet ne linquiète pas. Certes, reconnaît
Louis Thannberger, le patron de la société EFI, qui a introduit
Artprice.com en Bourse, « il a été happé comme
les autres par le krach, mais il sera un des rares à remonter la
pente et, dans trois ans, il sera au zénith. Cest un futur
grand ». En décembre dernier, en pleine déprime boursière,
EFI a aussi introduit sans coup férir au Nouveau Marché
une autre filiale de Groupe Serveur, spécialisée dans la
traçabilité. Et Thierry Ehrmann prépare, dici
à fin 2001, lintroduction de son groupe tout entier, dont
le périmètre pourrait être porté à plus
de 1 milliard de francs par échanges dactions.
Jean-Jacques Bozonnet
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